Le projet de réforme des retraites : un tiers de poudre aux yeux

L'équilibre annoncé de notre système de retraite en 2018 est fictif. C'est un tour de passe-passe.

Un examen attentif des documents qu’il a rendus publics hier montre que le trou à combler en 2018, d’après les projections réalisées par le Conseil d’orientation des retraites (COR), est un déficit de 42,3 milliards d’€, et que les mesures prises réduiront ce déficit de 26,7 milliards (estimation gouvernementale) soit seulement 63 % du total. Si tout se passe comme prévu, il restera un déficit de 15,6 milliards.

Comment le gouvernement a-t-il procédé pour donner l’illusion que sa réforme allait combler totalement le trou des retraites ?

Ø Dans un premier temps, le COR a comptabilisé à hauteur de 15,6 milliards le déficit du régime des fonctionnaires de l’Etat (qui est en réalité sensiblement plus important, voir ci-dessous). Il est arrivé ainsi à un total de 32,3 milliards manquant à l’appel en 2010. Cela faisait l’affaire du gouvernement, qui souhaitait frapper l’opinion par l’annonce d’un gros déficit 2010

Ø Dans un deuxième temps, le gouvernement a déclaré que ces 15,6 milliards seront pris en charge chaque année par l’Etat, comme si c’était quelque chose de nouveau alors qu’il l’a toujours fait et cela comble exactement – sur le papier - le déficit prévisionnel 2018.

Le gouvernement a refusé de créer une caisse de retraite pour les fonctionnaires de l’Etat, ce qui aurait tout clarifié. Mais le COR fait à juste titre comme s’il en existait une il fait aussi comme si l’Etat lui versait chaque année une cotisation « patronale » au taux atteint en l’an 2000 (environ 32 %), plus une subvention d’équilibre venant combler son déficit (comme il le fait pour divers régimes spéciaux, à commencer par la SNCF et la RATP). Le raisonnement se tient, sauf en ce qui concerne le taux de cotisation patronale de référence : il conviendrait de prendre le taux moyen constaté dans le secteur privé, plutôt que le taux du régime des fonctionnaires en l’an 2000, très supérieur au précédent. On arrive alors à un déficit (couvert par une subvention de l’Etat) égal à 26 milliards.

Pour effectuer son tour de passe-passe, le gouvernement a décidé de remettre les compteurs à zéro en 2010 : désormais, pour lui, le déficit du régime des fonctionnaires de l’Etat ne doit plus se calculer à partir du taux de cotisation de 2000, mais de celui de 2010. Les 15,6 milliards, baptisés « effort de l’Etat », sont considérés comme une ressource normale de ce régime.

Dès lors, le gouvernement comptabilise ces 15,6 milliards en déduction du déficit prévisionnel 2018 et 2020, ce qui lui permet d’affirmer que l’équilibre est atteint grâce à ses mesures géniales. En fait sa mesure la plus géniale, qui contribue à hauteur de 37 % au résultat dont il se glorifie, consiste simplement à renommer « effort de l’Etat » et à considérer comme une ressource nouvelle ce que le COR appelait tout crûment « déficit ».

Le gouvernement s’est sans doute inspiré de la légende médiévale du moine gourmand : un vendredi de carême, jour où la religion interdisait de manger de la viande, ce moine eut envie de déguster un lapin. Il le baptisa « carpe », puis le fit cuire et le mangea de bon appétit, la conscience tranquille. Un simple changement de dénomination avait suffi pour transformer un péché en un comportement irréprochable !

Il semblerait que le mensonge gouvernemental soit aussi visible que la mauvaise foi du moine gourmand. Mais non, la crédulité de certains (ou leur révérence à l’égard des pouvoirs publics) est si grande que ça a marché ! Dans leur édition du 17 juin, en rendant compte des mesures de redressement rendues publiques la veille par le gouvernement, même Les Echos ont reproduit la présentation gouvernementale sans expliquer qu’il s’agit d’un exercice de prestidigitation.

Les amis de Sauvegarde Retraites, eux, ne s’y tromperont pas : ces 15,6 milliards payés aux fonctionnaires en empruntant – car l’Etat a lui-même un déficit abyssal - étaient du déficit en 2010, ils resteront du déficit en 2018 et en 2020. C’est certainement ce que dira la Cour des comptes quand elle aura examiné la question hélas, le temps qu’elle le fasse, la loi aura été votée.

Jacques Bichot, économiste, professeur émérite à l’université Jean Moulin, auteur de Retraites. Le dictionnaire de la réforme. L’Harmattan/Sauvegarde Retraites


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