Retraite - Economies annoncées en matière de retraites : quelle crédibilité?
Sauvegarde retraite : des Citoyens qui Prennent leur Retraite en Main
 
Economies annoncées en matière de retraites : quelle crédibilité? (11/07/2003)
 
Déjà, la loi Fillon n'est financée qu'à hauteur de 42 %. Mais même ce financement laisse terriblement à désirer, estime Jacques Bichot, professeur à l’Université Jean Moulin (Lyon 3).
 
A l'appui de son projet de loi portant réforme des retraites, le Gouvernement a publié trois «tableaux d’équilibre de la réforme en 2020». Le «besoin de financement initial» y est estimé à 43 milliards d’euros, dont 15 pour le régime général et 28 pour les régimes des fonctionnaires. Les mesures prises diminueraient ce déficit de 18,2 milliards, soit 42 %. Le reste du besoin de financement, soit 24,8 milliards, serait couvert par des recettes nouvelles, soit 9,8 milliards de cotisations et 15 milliards d’impôt ou de déficit budgétaire.

58 % du problème résolu à l’aide de prélèvements supplémentaires, ce n’est pas très glorieux pour «la réforme la plus importante menée depuis 1945 dans le domaine de l’assurance vieillesse» selon la formule employée en toute modestie par le Gouvernement pour désigner son dispositif. On pourrait cependant applaudir les 42 % d’économies engendrées par une réforme réalisée contre vents et marées. Mais il conviendrait pour cela que le chiffrage des besoins de financement et des économies engendrées à l’horizon 2020 fut sérieux et prudent. Nous allons voir que ce n’est hélas pas le cas.

Deux faits nous mettent la puce à l’oreille.
¨ En premier lieu, aucune étude d’impact n’accompagnait le projet de loi. Obligatoire pour toutes les lois, cette recherche des effets prévisibles des dispositions projetées s’imposait tout particulièrement pour un texte censé «sauver les retraites». Le Gouvernement a choisi de se soustraire à cette obligation de bon sens : ce n’est pas bon signe.
¨ Deuxièmement, les 42 % (18,2 milliards) sont obtenus en tenant compte d’une augmentation de la cotisation vieillesse (0,2 %) programmée pour 2006. Quelle différence y a-t-il entre cette augmentation et les autres qui seront nécessaires si l’on ne va pas plus loin que la réforme Fillon ? Uniquement la date. On est donc en droit de s’interroger sur le sens d’un calcul qui mélange aux économies prévues le produit d’une cotisation. Il ne s’agit «que» de 0,9 milliard, mais le proverbe «qui vole un œuf, vole un bœuf» se transpose en matière de prévisions de prélèvements supplémentaires : comptabiliser à tort 0,9 milliard parmi les effets de mesures devant éviter d’avoir à augmenter les prélèvements, de façon à faire croire que ces mesures résolvent 42 % du problème alors qu’il s’agit de 40 %, cela jette la suspicion sur l’ensemble des calculs gouvernementaux.

Quand on examine ces calculs de près, la suspicion ne fait qu’augmenter. Car le besoin de financement à l’horizon 2020 est le résultat d’une projection mécanique qui ne fait appel aux connaissances ni des économistes, ni des sociologues. Il s’agit d’un calcul de coin de table utilisé par le Conseil d’orientation des retraites pour faire prendre conscience qu’il existe un énorme problème à résoudre, et nullement d’un chiffre précis et fiable. Aucun scientifique digne de ce nom ne peut dire, surtout sans étude approfondie, qu’en l’absence de mesures, le déficit des régimes de retraite concernés par la loi serait en 2020 plus proche de 43 milliards que de 30, de 50 ou de 60.

Quand aux économies, elles sont également calculées de manière primitive, sans aucune analyse de la façon dont particuliers et employeurs réagiront à la nouvelle loi. L’âge moyen à la liquidation des pensions augmentera-t-il, et de combien ? Réponse au pifomètre. Dans ces conditions, il y a de fortes chances que se reproduise ce qui s’est passé depuis 18 mois à la suite de la création de l’Allocation personnalisée d’autonomie : le budget prévisionnel de cette prestation a été dépassé de moitié, la façon dont les intéressés réagiraient n’ayant pas été étudiée.

Une autre source importante (4,5 milliards) de redressement espéré, l’indexation des pensions des fonctionnaires sur les prix, a été évaluée par Madame Soleil, véritable mentor de ce Gouvernement. En effet, le résultat dépend de la différence entre l’évolution des prix et celle du point d’indice de la fonction publique. Mais qui peut dire si le point d’indice augmentera ces 17 prochaines années beaucoup plus vite que les prix, un peu plus vite, ou moins vite ? Cela dépend de la croissance économique et de la politique menée par une demi-douzaine de Gouvernements à venir. Autant dire que les 4,5 milliards sont lus dans la boule de cristal.

Terminons en signalant que le problème des retraites de la fonction publique peut en cacher un autre. Supposons en effet qu’un fonctionnaire coûtant 60 000 euros par an et ayant droit à 45 000 euros de pension décide, suite à la loi, de rester en activité une année supplémentaire. Les dépenses de pension diminuent de 45 000 euros. Mais quid des dépenses de l’Etat ou des collectivités locales ? L’administration aurait embauché un jeune à 35 000 euros, ce qui fait une dépense totale de 80 000 euros (45 000 de pension et 35 000 de traitement d’activité). Au lieu de quoi elles payent 60 000 euros : l’économie n’est que de 20 000 euros. A quoi sert de s’enorgueillir de 45 000 euros d’économies pour un régime de retraite si les contribuables n’y gagnent que 20 000 euros ?

La conclusion est hélas que la réforme des retraites a été menée avec un manque de professionnalisme comparable à celui dont ont fait preuve un certain nombre de grands patrons drogués par la bulle des NTIC . Estimer à 18,2 milliards les économies engendrées par cette réforme, ou valoriser à 15 000 euros chaque client d’un prestataire de services téléphoniques, c’est blanc bonnet et bonnet blanc.
 
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