Retraite - Emprunter pour la dépendance ?
Sauvegarde retraite : des Citoyens qui Prennent leur Retraite en Main
 
Emprunter pour la dépendance ? (25/09/2003)
 
Le Professeur Jacques Bichot commente deux faits piquants qui concernent les retraites : le Gouvernement a décidé que l’APA (l’Allocation personnalisée d’autonomie) serait partiellement financée par l’emprunt, et il projette de pérenniser l’augmentation des transferts de compensation du régime général aux autres régimes, ce à quoi s’oppose le Conseil d’administration de la CNAV.
 
L’APA est financée partie par les départements (qui l’attribuent et la versent), partie par le FFAPA (Fonds de financement de l’APA), qui bénéficie à cet effet d’un dixième de point de CSG (retiré au fonds de solidarité vieillesse, lui-même déchargé du financement de bonifications pour enfants mises à la charge de la branche famille) et d’une petite contribution des régimes de retraite. La loi n° 2003-289 du 31 mars 2003 a autorisé le FFAPA à emprunter. Le décret n° 2003-900 du 19 septembre 2003 vient d’utiliser cette autorisation : le FFAPA va emprunter 400 millions d’euros.

Un tel emprunt pose un problème de principe : est-il sain de financer à crédit la prise en charge de la dépendance des personnes âgées ? Il suffit de poser la question pour qu’en surgisse une autre : pendant qu’on y est, pourquoi pas un emprunt pour l’assurance maladie, un autre pour l’assurance vieillesse, et un troisième pour l’assurance chômage ? De fait, c’est ce qui a été fait : la CADES (Caisse d’amortissement de la dette sociale) porte une lourde dette ayant servi à boucher le trou de la sécurité sociale au milieu des années 90 ; l’UNEDIC, gestionnaire de l’indemnisation du chômage, a lui aussi emprunté ; et le déficit actuel de l’assurance maladie est rendu possible par des prêts de la Caisse des dépôts, en attendant que la CADES ou une autre institution ad hoc prenne le relais.

Les banques trouvent insupportable que la société qui fabrique le TGV, les métros, les turbines de nos centrales électriques et bien d’autres produits de haute technologie, soit fortement endettée. Sans doute ont-elles raison, nous n’allons pas leur apprendre leur métier. Mais alors, est-il supportable que des organismes qui ne fabriquent rien, qui se bornent à redistribuer, soient encore plus fortement endettés ? Est-il normal que l’Etat leur accorde pour cela une garantie illimitée, sans que la Commission européenne y trouve rien à redire, alors qu’il a été cloué au pilori pour avoir voulu apporter sa contribution à Alstom une garantie plus limitée ? Comprenne qui pourra !


La loi du 21 août 2003 laisse en suspens les problèmes de la compensation.

L’encre de la loi « portant réforme des retraites » est à peine sèche que l’on s’aperçoit qu’elle ne résout aucunement l’un des problèmes épineux relatif aux retraites par répartition : les transferts de compensation entre régimes.

De quoi s’agit-il ? Il existe plus d’une centaines de régimes, les uns énormes, comme le « régime général » géré par la CNAV, d’autres minuscules, comme celui de l’Opéra. Certains de ces régimes ont très peu de cotisants en proportion des pensionnés, tandis que d’autres sont dans une situation moins mauvaise. La compensation (dite « démographique » parce qu’elle est basée sur le rapport des cotisants aux retraités) permet aux premiers de profiter d’une partie des cotisations encaissées par les seconds.

Le régime général, qui n’est pas trop mal loti démographiquement en comparaison du régime agricole ou de celui des mines, est un gros contributeur. L’an dernier, le Gouvernement a estimé qu’il ne l’était pas assez, parce que les chômeurs ne sont pas comptabilisés comme cotisants dans le calcul de la compensation, alors que l’assurance chômage verse de l’argent au régime général en contrepartie de la validation de trimestres pour les personnes qui touchent des indemnités de chômage. Il a donc fait prendre en compte les chômeurs dans le calcul des transferts de compensation, ce qui a coûté 800 millions d’euros au régime général.

Il y a eu des protestations, mais comme la mesure ne devait être que transitoire, les partenaires sociaux s’en sont accommodés. Seulement, chacun sait qu’en France les préfabriqués installés pour un dépannage de quelques mois sont toujours en place dix ans plus tard. Le Gouvernement s’apprête à faire de même pour l’inclusion des chômeurs dans le champ de la compensation démographique, solution dont l’Etat et les collectivités locales sont les principaux bénéficiaires, car le chômage n’atteint guère les fonctionnaires. Il a donc concocté un projet de décret rendant définitif le mode de calcul expérimenté l’an dernier.

Soumis pour avis au Conseil d’administration de la CNAV, ce projet y a obtenu à l’unanimité un avis défavorable. Le Gouvernement passera-t-il en force comme il l’avait fait l’an dernier ? Il en a le droit, mais cela ferait désordre alors qu’il se targue d’être particulièrement attaché à la concertation et à la négociation avec les partenaires sociaux.

Affaire à suivre ! Mais une conclusion peut déjà être tirée de l’affrontement en cours : la loi sur les retraites, dont le Gouvernement a tellement chanté les louanges, a tout simplement laissé de côté l’un des problèmes les plus délicats posé par le fonctionnement du système incroyablement compliqué qu’il dit avoir réformé, mais qui est toujours aussi compliqué, sinon plus. Ce problème empoisonne depuis des décennies les relations entre régimes, entre partenaires sociaux, entre Gouvernement et partenaires sociaux ; il est archi-connu des spécialistes ; il a donné lieu à quantité de rapports, qui soulignent tous l’impossibilité de lui trouver une solution satisfaisante sauf la plus radicale : l’unification des régimes. Cette réforme structurelle, la seule qui rendrait réellement les Français égaux devant la retraite, le Gouvernement a renoncé à la mettre en oeuvre ; il n’a pas fini (et nous non plus !) de payer le prix de sa pusillanimité.
 
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