La mauvaise gestion de la CIPAV

La Cour des comptes critique la « gestion particulièrement désordonnée » de la CIPAV.

La CIPAV est en quelque sorte la caisse de retraite de ceux qui n’en ont pas, comptant parmi ses affiliés aussi bien les architectes que les ingénieurs-conseils, certains artistes, les professionnels du sport ou du tourisme, les moniteurs, les interprètes et même les auto-entrepreneurs : soit quelque 545 000 affiliés appartenant à plus de 150 professions libérales. Autant dire que la Cour des comptes vient de lancer un pavé de forte taille dans la mare des retraites, en épinglant les nombreuses lacunes de sa gestion.

Dans leur dernier rapport, les magistrats de la rue Cambon dénoncent en effet « une série de graves dysfonctionnements qui portent lourdement préjudice aux assurés », caractérisés par un « défaut très préjudiciable de rigueur » au détriment de la rentabilité des investissements en général (placements en valeurs mobilières et patrimoine immobilier).

A quoi il faut ajouter un service aux assurés « gravement défaillant dans les fonctions essentielles de l’affiliation, du recouvrement [des cotisations, ndlr] et du règlement des prestations » : autrement dit, dans tous les domaines ! Ces carences tiennent en partie aux insuffisances du système d’information, lourdement défaillant en dépit de dépenses de modernisation dix fois supérieures aux prévisions !

Et lorsque les assurés veulent protester, c’est le parcours du combattant pour parvenir à entrer en contact avec la caisse (cette impossibilité de joindre la CIPAV nous a d’ailleurs été maintes fois signalée par des membres de Sauvegarde Retraites.)

Si de nombreux affiliés sont ainsi maltraités, il apparaît que certains administrateurs bénéficient, en revanche, d’un « traitement privilégié », à commencer par le président de la caisse, Jacques Escourrou, qui, n’ayant pas payé ses cotisations à l’échéance, a échappé aux majorations de retard. L’importance de la CIPAV, par le nombre d’affiliés, au sein de la CNAVPL (la Caisse nationale d’assurance vieillesse des professions libérales, qui rassemble dix caisses professionnelles) a également valu à Escourrou d’être porté à la présidence de celle-ci. Cette double casquette est d’autant moins méritée que la gestion de la CIPAV sous Escourrou est, selon la Cour des comptes, non seulement désordonnée, mais opaque. « Ce manque de transparence a facilité le non-respect de règles élémentaires de sécurité et de répartition des risques », notent les magistrats.

Le code des marchés publics est passé à la trappe

Entre autres anomalies, ils relèvent :

- que les caisses du "groupe Berri" (qui rassemble la CIPAV, la CAVEC, la CAVOM et l'IRCEC) ont privilégié pendant des décennies un même gestionnaire de portefeuille qui, de surcroît, a longtemps assuré simultanément la fonction de dépositaire des titres et auquel la CIPAV avait confié le placement de plus des trois quarts de ses réserves ;

- que jusqu'en 2010, la commission des placements a travaillé sans la moindre délégation du conseil d'administration à l'encontre de ce que prévoyaient les statuts ;

- qu'en contradiction avec ce que prévoit le code de la sécurité sociale, les caisses se sont délibérément affranchies des obligations prévues par le code des marchés publics, en se dispensant la plupart du temps de mettre leurs prestataires en concurrence ;

- que les effectifs de la CIPAV (226 agents) ont augmenté de 77 % en sept ans, entre 2004 et 2011 ;

- que, cerise sur le gâteau, des administrateurs de la CIPAV ont bénéficié "de secours importants au regard des pratiques habituelles de la caisse", ce qui laisse soupçonner qu'ils en ont "croqué"...
Ces dérives dans la gestion de la CIPAV conduisent la Cour des comptes à recommander aux caisses de retraite des professions libérales de recruter leurs directeurs et agents comptables parmi les agents de direction de la sécurité sociale… Est-ce la meilleure solution, au moment où celle-ci accuse un déficit de plus de 16 milliards d’euros, en grande partie dû à sa gestion calamiteuse ? Autant demander à un noyé de jouer les maîtres-nageurs. Au reste, les magistrats des comptes ne manquent pas d’aplomb d’opposer ainsi la Sécurité sociale à l’un de ses propres organismes – la CIPAV ayant été instituée et restant régie par la « Sécu ».

Voilà longtemps qu’à Sauvegarde Retraites, nous mettons en cause la logique, la gestion et les pratiques de ces régimes obligatoires, en avertissant des risques de dérives inhérents à leur situation de monopole.
Depuis des années, il nous est répondu, au mieux que nous nous faisons de fausses idées, au pire « circulez, il n’y a rien à voir ». Le rapport de la Cour des comptes montre aujourd’hui que nous ne nous trompions pas. Plus que jamais, nous revendiquons donc, pour les affiliés, la liberté de choix et un droit de contrôle sur la gestion des caisses qu’ils financent.


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