Financement des retraites : un audit est nécessaire

L’exécutif entretient l’ambigüité sur le financement des retraites. Il faut sortir du flou en procédant à un audit sincère des besoins de financement.

Y a-t-il un problème de financement des retraites ? À entendre Emmanuel Macron et Jean-Paul Delevoye, la réponse est non : ils ont toujours dit que l’enjeu de la réforme n’était pas l’équilibre financier, qui serait, à les entendre, déjà assuré par les précédentes réformes, mais l’équité. Cela n’a pas empêché le président de la République de tenir des propos ambigus sur France 2, après le G20 : « Il faut que le nouveau régime universel de retraites à points, qui sera inauguré en 2025, soit dès le départ à l’équilibre financier pour commencer sur des bases saines. » Alors, l’est-il ou ne l’est-il pas ?

Edouard Philippe ne nous permet pas d’y voir plus clair : il souffle le chaud et le froid. Dans son discours devant le Conseil économique, social et environnemental (CESE), le 12 septembre dernier, il a ainsi affirmé une chose et son contraire :

« Le système, pour l’heure, n’est pas très loin de l’équilibre. Faut-il en déduire qu’il ne faut rien faire ? Je ne le crois pas. Car les départs à la retraite resteront très nombreux dans les années à venir et tout porte à croire que ce déficit va fortement se dégrader. Certains me diront que ces remarques sont budgétaires. Ça n’est pas forcément un gros mot, et pour ma part je n’ai jamais considéré que produire du déficit et de la dette était un signe de bonne santé et de bonne gestion. Mais ce qui est en jeu, ce n’est pas un sujet d’équilibre comptable, c’est un sujet de justice, un sujet de justice entre les générations. »

Résumons les propos du premier ministre : l’équilibre n’est pas loin, mais le déficit va se dégrader il faut s’en occuper, mais ce n’est pas l’enjeu…

Les parlementaires ne sont pas informés des enjeux financiers

Le moins que l’on puisse dire est que l’on reste dans le flou. Cela signifie que les parlementaires vont être appelés à se prononcer sur la réforme des retraites sans avoir une connaissance fiable des enjeux financiers. Or, comment un projet d’une telle ampleur pourrait-il être voté sans visibilité sur les éléments financiers ? Il se murmure déjà que l’exécutif pourrait demander un nouveau rapport au Conseil d’Orientation des Retraites pour apporter la lumière. Il est douteux que le COR soit l’organisme idoine pour cela, après bientôt 20 ans de projections dont peu se sont vérifiées (non pas en raison d’un manque de compétence de ses statisticiens, mais parce que leurs travaux sont excessivement soumis au politique).

Prétendre aujourd’hui que le financement des futures pensions est assuré constitue une affirmation sans fondement. En réalité, plusieurs éléments d’ordre structurel s’y opposent :

  • La question démographique

Le nombre de retraités de droit direct passera de 16 millions en 2017 à 24,3 millions en 2070, avec une espérance de vie qui aura dépassé la barre des 90 ans en 2070 et un rapport démographique qui passera de 1,7 cotisant par retraité de droit direct aujourd’hui, à 1,3 cotisant par retraité de droit direct.

  • Le poids des retraites dans les finances publiques

En France, les dépenses annuelles de retraite (316 milliards d’euros, soit 13,8 % du PIB en 2017) représentent près de 10 fois le budget de la Défense et 6 fois le budget de l’Education nationale. La question du financement des retraites doit donc être pensée dans le contexte plus large de la situation globale des finances publiques. Le dernier rapport du COR présente le solde financier du régime des fonctionnaires comme étant à l’équilibre, mais cela n’a aucun sens puisqu’il n’y a pas de caisse de de la fonction publique d’Etat et que les cotisations des fonctionnaires sont fictives (ce sont de simples écritures comptables). En réalité, leurs pensions sont directement imputées au budget de l’Etat, lequel est en déficit chronique, augmentant ainsi la dette publique.

C’est une contre-vérité que de dire que le financement global du système est assuré, quand on s’abstient de compter l’argent que l’Etat attribue aux régimes de la fonction publique. Il ne faut pas oublier non plus les 6 à 7 milliards d’euros qui sont injectés chaque année dans les autres régimes spéciaux, ainsi que les diverses subventions à certains régimes en perdition, comme celui des agriculteurs. Ajoutons à cela toute une ingénierie fiscale qui revient à maquiller les comptes, par exemple en siphonnant les excédents de la branche famille de la sécurité sociale au profit de la branche vieillesse (la branche famille se trouvant à son tour… déficitaire).

  • La « dette-retraite »

La conséquence de cette situation, c’est que l’Etat s’endette pour payer les retraites de ses agents. Et il faut ajouter à cela l’ensemble des engagements retraites (droits acquis sur la base des règles existantes et pas encore distribués). Cette « dette-retraite » a été évaluée par l’INSEE* à 8 108 milliards d’euros au 31 décembre 2015 (dont 14 % pour la seule fonction publique d’Etat), soit près de 4 années de PIB et plus de 3 fois la dette publique actuelle (2 405 milliards d’euros). L’enjeu, derrière la réforme des retraites, est donc aussi, quoiqu’en dise l’exécutif, la dette publique globale de la France.

Il est nécessaire de regarder cette situation en face, de mettre toutes les cartes sur la table et de sortir de l’ambiguïté. Pour cela, encore faudrait-il dissiper le flou artistique qui entoure le financement des retraites en faisant procéder à un audit par un organisme vraiment indépendant, afin de permettre aux parlementaires et à l’opinion d’avoir une vision réelle et sincère de la situation financière du système de retraites.

*INSEE - Les comptes de la nation en 2016. Chiffres publiés le 16 mars 2018. Evaluation du scénario central (taux d’actualisation de 3 %), selon la méthode des droits acquis.


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