Réforme : les régimes du public d'abord !

Alors que le gouvernement semble ne pas savoir quelle réforme il veut faire, les syndicats du public se mobilisent pour défendre leurs régimes spéciaux. Les actifs et retraités du privé refusent de faire une fois de plus les frais de ce jeu de dupes.

Le 5 décembre, les syndicats de la SNCF et de la RATP ont choisi d’organiser le blocage de la France et la prise en otage des Français – au moins de ceux qui ont besoin des transports en commun. Ce faisant, ils entendent protester contre un projet de réforme des retraites dont nul ne sait ce qu’elle contient – pas même, semble-t-il, le gouvernement. Tout au plus en connaît-on un canevas assez flou, exposé au mois de juillet dernier par le haut-commissaire Jean-Paul Delevoye, qui avait alors précisé que les « préconisations » présentées n’engageaient que lui-même !

Loin de dissiper ce flou, le Président de la République et le gouvernement l’ont aggravé par des annonces successives et contradictoires. Ainsi, tandis que Jean-Paul Delevoye préconisait de supprimer – après une longue transition – les régimes spéciaux, le Premier ministre, Edouard Philippe, a-t-il évoqué une « clause du grand-père » qui envisageait seulement de les fermer aux « nouveaux entrants » à partir de 2025 (date prévue de l’entrée en vigueur de cette réforme-fantôme), tandis qu’Emmanuel Macron appuyait son Premier ministre en évoquant un « pacte avec la nation » censé légitimer les privilèges des bénéficiaires actuels des régimes spéciaux. Aujourd’hui, cette « clause du grand-père » semble toutefois devoir être abandonnée, mais le Premier ministre propose de reporter la première génération qui devait être concernée par la réforme (originellement, celle de 1963). Et l’on reparle de recourir à des mesures paramétriques avec un nouveau recul de l’âge de départ à la retraite. Le gouvernement pilote la réforme comme un bateau sans gouvernail dans le brouillard.

Les syndicats des transports publics n’en font pas moins grève pour sauver leurs régimes spéciaux, que Delevoye préconise de supprimer et Edouard Philippe de fermer, comme on l’a vu, dans l’un et l’autre cas au terme d’une (très) longue transition. Derrière ces régimes spéciaux des entreprises publiques, c’est le sort de l’ensemble de ceux du secteur public qui est en jeu. Pas touche à nos avantages, disent-ils ! Et, par conséquent, non au régime « universel » à points !

Pour donner le change, les syndicats du public, déguisant leur hypocrisie sous les défroques d’une prétendue solidarité, affirment se battre pour l’ensemble des affiliés aux régimes de retraite – y compris ceux du privé, qui ne profitent pourtant pas des mêmes avantages. L’expérience montre le contraire. Les grèves de 1995 n’ont bénéficié qu’aux régimes spéciaux et les affiliés du privé ont supporté seuls le choc de la réforme Balladur, réalisée deux ans auparavant. Tout laisse à penser qu’il en ira de même si le gouvernement limite finalement la nouvelle réforme aux régimes du privé, en faisant main basse, au passage, sur leurs réserves et en fusionnant la Cnav avec l’Agirc-Arrco. Ce faisant, on accentuerait encore les différences qui existent déjà entre les deux pôles du système de retraite, avec, d’une part, un pôle privé fonctionnant par répartition et par points (c’est déjà le cas de l’Agirc-Arrco) et, de l’autre, un pôle public dont les régimes spéciaux avantageux resteraient financés par l’ensemble des contribuables.

Les grévistes ne peuvent se prévaloir ni de la solidarité intragénérationnelle, puisqu’ils défendent bec et ongles des avantages payés par ceux qui n’en profitent pas ni de la solidarité intergénérationnelle, puisque les régimes spéciaux creusent le déficit et la dette publics, et alourdissent les engagements de l’Etat (autrement dit la dette retraite), qui seront à la charge des générations futures. (cf. l’article « déficit et dette retraite » sur notre site : https://www.sauvegarde-retraites.org/article-retraite.php?n=1092

Le seul moyen pour l’éviter est d’exiger, d’une part, la suppression sans tarder des régimes spéciaux et, d’autre part, que la réforme s’applique en priorité au secteur public – sur lesquels les régimes du privé pourront ensuite être alignés. Les affiliés aux régimes du privé refusent d’être, une fois de plus, les seuls à supporter le poids de la réforme. Les atermoiements du gouvernement ne les tromperont pas plus que les arguties des syndicats. Puisqu’il faut réformer, messieurs les fonctionnaires, réformez-vous les premiers !


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