Equité, la grande forfaiture!

Le gouvernement prétend que sa réforme est juste tout en conservant le régime spécial de la fonction publique, renonçant ainsi au principe « À cotisations égales, pensions égales », qui était pourtant la promesse cardinale du candidat Macron. Le compte n’y est donc pas : il y a une incompatibilité radicale et substantielle entre la notion de justice et le maintien du principal régime spécial.

Parmi les trois éléments de langage – justice, équilibre et progrès – martelés par le gouvernement dans son document de présentation du projet de réforme des retraites, la présence du mot « justice » fait bondir. Très vite, à la lecture de la prose gouvernementale, nous apprenons que « les caractéristiques du régime de la fonction publique sont conservées », que « les modalités de calcul de la pension » (sur les 6 derniers mois de carrière), les « bonifications de la durée d’assurance attachées à certains métiers » ou encore « les durées de service en catégorie ‘active’ permettant un départ anticipé » ne sont pas modifiées. En même temps – et c’est le comble puisque le régime spécial des fonctions publiques est le plus important et le plus coûteux de tous –, le gouvernement, dans cette catégorie « justice », affirme crânement vouloir « fermer les régimes spéciaux de retraite ». Vraiment ? Fermer les régimes spéciaux sans toucher au navire-amiral ? Autant dire un coup d’épée dans l’eau qui éclaboussera à peine une petite flottille sur l’océan des privilèges…

Pourtant, l’exécutif ne manque pas d’arguments pour vilipender les statuts privilégiés : « ces régimes ne sont plus justifiés aux yeux des Français et les âges dérogatoires de départ, 52 ans ou 57 ans, ne sont plus adaptés à la réalité de ces métiers », ils « rendent le système de retraite peu lisible, complexe et parfois injuste » – on appréciera l’euphémisme « parfois » –, la « durée de versement des pensions est plus élevée » et « le niveau moyen des pensions est également plus favorable ». Voici ce qui est avancé pour justifier la fermeture – uniquement pour les nouveaux entrants à partir de septembre 2023 – des régimes de la RATP, des IEG, de la Banque de France ou encore du CESE (mais silence radio sur les parlementaires !)… Ô combien ces arguments sont vrais ! Et encore plus le sont-ils pour les régimes de rémunération à vie de la fonction publique, qui accumulent les besoins de financement direct par le contribuable !

Une entourloupe manifeste

Au surplus, la fermeture de ces quelques régimes spéciaux se fera sur le modèle de la réforme du régime de la SNCF en 2018, notamment avec l’application de la fameuse « clause du grand-père ». Parlons-en, de la prétendue fermeture du régime de la SNCF ! La "soulte" réclamée aux caisses du privé pour payer les "avantages maison" est pharaonique les nouveaux entrants affiliés à la Cnav et à l’Agirc-Arrco continueront à être gérés par la caisse du régime spécial, offrant ainsi l’outil technique et juridique de probables compensations via un système interne d’entreprise, lequel, s’agissant d’entités publiques, est susceptible de peser sur tous les contribuables. L’entourloupe est manifeste : en maintenant le statu quo pour la fonction publique et en prévoyant une fermeture de quelques régimes spéciaux selon un modèle plus que contestable, le gouvernement a renoncé au principe « À cotisations égales, pensions égales », qui était pourtant la promesse cardinale du candidat Macron en 2017, avant qu’il ne capitule en rase campagne lors du premier quinquennat. Il faut le marteler : le principe même de régime spécial est radicalement et substantiellement incompatible avec la notion de « justice » dont le gouvernement se prévaut avec un culot confondant.

Ajoutons que ce n’est pas seulement l’équité intragénérationnelle qui est lésée par ce renoncement, mais aussi l’équité intergénérationnelle. En choisissant une simple réforme paramétrique – une de plus ! –, le gouvernement fait perdurer le report incontrôlé des charges sur la jeunesse actuelle. Quand la dette publique représente plus de 3 000 milliards d’euros, que les engagements retraites à honorer demain sont évalués à plus de 10 000 milliards d’euros, les jeunes générations sont en droit de demander à Monsieur Macron comment elles pourront ainsi financer sans limite la retraite de leurs parents, la dépendance de leurs grands-parents, la dette publique et ses intérêts. Vous avez dit « justice » ?


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