Équilibre à géométrie variable

En renonçant à réformer les régimes spéciaux de la fonction publique, le gouvernement ruine de facto son objectif d’équilibre financier du système de retraite. Ce renoncement exprime un message clair : l’exigence d’équilibre oui, mais pour le privé uniquement…

Le gouvernement le martèle depuis la présentation de son projet de loi : c’est « une réforme pour l’équilibre du système de retraite », lequel est « durablement déficitaire » s’il demeure en l’état. L’exécutif met en avant les projections du Conseil d’orientation des retraites (COR), qui indiquent un déficit « en moyenne sur les 25 prochaines années » dans tous les scénarios étudiés, y compris celui, favorable, du « plein emploi », lequel n’empêcherait pas « un déficit cumulé d’environ 150 milliards d’euros d’ici 10 ans ». Alors, c’est dit et proclamé : « Accumuler les déficits, c’est faire payer les générations futures… » Ceci est vrai : nous sommes aujourd’hui à 1,7 cotisant pour 1 retraité nous serons, si la démographie atone se maintient, à 1,5 cotisant en 2040. Dans ce contexte, il est justifié en effet de « travailler progressivement plus longtemps »… On connaît, à cet égard, la mesure-phare du gouvernement : le recul de 2 ans de l’âge légal de départ.

Des régimes spéciaux structurellement déficitaires

Si l’intention est louable, il est certain que cela ne suffira pas à assurer l’équilibre durable de notre système de retraite. D’une part, le levier de l’âge légal perd peu à peu de son efficacité en raison de l’allongement continu ces dernières années de la durée de cotisation pour une pension à taux plein : l’impact de la mesure sur l’âge effectif de départ sera réduit. D’autre part, le renoncement du gouvernement à supprimer les régimes spéciaux des trois fonctions publiques va consacrer une forfaiture : l’exigence d’équilibre ne va s’appliquer qu’aux caisses de retraites du privé. Quant aux régimes spéciaux des fonctionnaires, ils vont pouvoir continuer à creuser des déficits financés par tous les contribuables. Cet équilibre à géométrie variable constitue le plus gros point faible – c’est un euphémisme – du projet gouvernemental.

Pourtant, ni l'Élysée ni Matignon ne peuvent avoir omis de lire le rapport sur les pensions de retraite de la fonction publique, présenté dans le « jaune budgétaire 2023 », paru en octobre 2022. L’enjeu y est clairement exprimé : « Les retraites des agents publics représentent un quart des dépenses de la branche vieillesse » « le poids des dépenses de retraite demeure prépondérant dans la dynamique du budget de l’État », à un point tel que « les engagements retraite de l’État sont de 2 534 milliards d’euros », pour la seule fonction publique d’Etat. La réforme envisagée ne changera rien, ou peu de choses, à cette inquiétante réalité. On peut attendre un léger impact de l’application aux fonctionnaires du recul de l’âge légal, mais leurs régimes spéciaux resteront structurellement déficitaires.

Il ne peut y avoir d’équilibre financier global des retraites en maintenant un système de rémunération à vie des fonctionnaires qui pèse sur le budget de l’État, creusant ainsi toujours davantage les déficits et la dette publique. Il faut regarder la réalité en face : avec le vieillissement de la population, les régimes par répartition sont sous tension maximale, les rendements baissent inéluctablement, les affiliés cotisent de plus en plus pour toucher de moins en moins. Dans ces conditions, maintenir la garantie des pensions des fonctionnaires s’apparente au tonneau des Danaïdes.


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