Rapport Attali : de grosses lacunes sur les retraites

Selon le professeur Jacques Bichot, le rapport aborde les retraites de façon superficielle et ne va pas au fond des choses

Le rapport Attali a pour ambition n° 8 : « ne pas mettre le niveau de vie d’aujourd’hui à la charge des générations futures ». Il précise : « Un pays qui s’endette n’aime pas ses enfants. » Et il déplore « cette accumulation de déficits engendrée par le train de vie excessif de l’Etat et de l’ensemble des collectivités publiques », recommandant dans la lignée du rapport Pébereau (et des injonctions répétées de Bruxelles) de « réduire dès 2008 la part des dépenses publiques dans le PIB », à raison de « 1 % du PIB pendant 5 ans ».
Tout cela est plein de bon sens, mais très incomplet. En effet, la dette qui pèse sur les générations montantes ne se réduit pas à la dette financière classique. La dette implicite correspondant aux promesses relatives à l’entretien des futurs retraités (pensions, soins, dépendance) n’est pas évoquée comme charge pour nos enfants et petits-enfants, alors qu’elle est beaucoup plus lourde : si l’on totalise les retraites, la part des soins aux retraités non couverte par les prélèvements qu’ils supportent (cotisations maladie et CSG), et les prestations d’autonomie (qui augmentent rapidement), on aboutit pour 2008 à plus de 200 milliards d’€, alors que le service de la dette est inscrit au budget de l’Etat pour 42,4 milliards d’€. De plus, le dernier rapport du Conseil d’orientation des retraites, en novembre 2007, estimait particulièrement alarmantes les perspectives d’augmentation des transferts sociaux des actifs vers les retraités. La Commission Attali aurait donc été bien inspirée de recommander une stabilisation de la part de ces transferts dans le PIB. On aurait aimé aussi que parmi les 316 « décisions » que devraient, selon elle, prendre les pouvoirs publics, figurent des moyens efficaces pour y parvenir.
Certes, la Commission conseille de « faciliter l’activité des seniors », de « permettre à chacun de retarder, s’il le désire, son départ à la retraite », estimant que « la collectivité sera alors en partie déchargée du poids du financement des retraites, à mesure que certains salariés décideront éventuellement de prolonger leur carrière. » Cela ne peut que faire l’unanimité, mais on aimerait savoir comment y parvenir : car enfin, les lois retraite de 1993 et de 2003 avaient précisément cet objectif, et elles ne l’ont nullement atteint. La présidente de la CNAV explique même, en le déplorant, que chaque réforme incite les assurés sociaux à liquider leur pension le plus tôt possible, de crainte d’être victimes d’un nouveau durcissement des conditions de départ.
Pas de liberté totale du cumul emploi-retraite
Le rapport Attali ne fournit qu’une seule piste concrète : « lever toutes les interdictions de cumul emploi-retraite » (décision 134). Cela serait tout à fait utile, pour le pays comme pour les particuliers qui doivent aujourd’hui faire des démarches et calculs compliqués s’ils veulent reprendre une activité professionnelle après avoir liquidé leur pension. Mais pourquoi cette audace libérale est-elle immédiatement bridée, dans le rapport, par une restriction bureaucratique ? « Pour ceux qui sont encore en activité, la levée de l’interdiction doit être applicable seulement si le salarié change d’entreprise, ou s’il crée sa propre activité, afin que le dispositif ne soit pas détourné de sa vocation. »
Le rapport n’explique pas en quoi le fait de rester dans la même entreprise constituerait un détournement de la vocation du « dispositif » : la pensée unique affirme sans se donner la peine de raisonner. A notre humble avis, il n’existe pas de contre-indication au fait de liquider ses pensions – ou une partie de celles-ci – en restant dans la même entreprise ou administration, à temps plein ou (ce serait sans doute le cas le plus fréquent) à temps partiel. Les formules actuelles de retraite progressive ne sont que peu utilisées, du fait de leur rigidité il y aurait probablement bien davantage de fins « en biseau » de l’activité professionnelle si chaque couple travailleur/employeur pouvait choisir une formule sur mesure, évolutive. Cela supposerait qu’il soit possible de liquider une partie seulement d’une pension, possibilité que n’évoque pas le rapport Attali, peu fourni en idées à la fois concrètes et originales.
Voir les retraites comme un produit financier
Le refus de supprimer totalement l’interdiction de cumul, comme l’absence de « décision » allant dans le sens d’une vraie retraite à la carte (réversibilité de la liquidation possibilité de liquider à taux partiel et de continuer à acquérir de nouveaux droits) est le signe d’une conception encore traditionnelle des retraites par répartition : les membres de la Commission Attali ne sont pas parvenus à considérer les retraites comme un produit financier. Telle est pourtant le changement de paradigme qui permettrait à la fois d’éviter à nos retraites une tragique Bérézina, et de relancer la croissance – ce qui est l’objectif du rapport. Les jeunes sont entretenus et formés par les actifs ensuite, devenus eux-mêmes actifs, ils versent une sorte de dividende à ceux qui ont de ce fait investi dans leur capital humain : c’est ainsi que fonctionnent les retraites par répartition, à ceci près que l’Etat-providence masque cette réalité et la déforme en la forçant à se couler dans un moule juridique inapproprié. Si l’échange entre générations successives était reconnu pour ce qu’il est, une part importante des prélèvements obligatoires sans contrepartie pourrait être remplacée par des mécanismes financiers, si bien que le « coin fiscal et social », premier des obstacles à la croissance, diminuerait fortement.
Certes, la retraite par répartition ne doit pas être confondue avec son homologue par capitalisation, tout simplement parce que le capital humain ne doit pas l’être avec le capital physique – ce serait le retour à l’esclavage ! Mais cela ne veut pas dire qu’elle ne doive pas relever de la logique de l’échange, ni qu’elle soit destinée à rester indéfiniment prisonnière de méthodes bureaucratiques. Il existe une voie libérale pour la retraite par répartition, comme Alain Madelin et moi-même l’avons montré*, et c’est cette voie qui, si on l’empruntait, conduirait à plus de croissance.
* Quand les Autruches prendront leur Retraite, Seuil, 2003. Voir aussi Sauver les Retraites ? La pauvre Loi du 21 août 2003, coédition l’Harmattan/Sauvegarde Retraites, 2004.

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