Réforme Delevoye : plus que jamais, la vigilance s'impose

À deux jours de sa présentation officielle, la cacophonie règne autour du projet Delevoye. Ce n’est pas rassurant pour les affiliés aux régimes de retraite du secteur privé.

Après avoir été plusieurs fois reportée, la présentation au Premier ministre de la réforme « systémique » des retraites promise par Emmanuel Macron et préparée par le haut-commissaire, Jean-Paul Delevoye, devrait enfin intervenir, le 18 juillet… au plus fort des vacances d’été, ce qui ne laisse rien présager de bon. À deux jours de cette date, ce projet reste flou et la cacophonie règne parmi le gouvernement.

Ainsi était-il question qu’avant même d’avoir reçu un commencement d’application, la réforme Delevoye soit précédée d’une autre série de mesures « paramétriques ». Il était notamment envisagé de précipiter la mise en œuvre de la réforme Touraine de 2014, qui prévoit de prolonger la durée de cotisation nécessaire pour remplir les conditions du taux plein, et / ou de créer une nouvelle décote pour inciter les Français à partir à la retraite plus tard. De telles mesures auraient contrebattu la logique du projet de Delevoye. En effet, dans un système à points comme celui que le haut-commissaire envisage de mettre en place, les notions de durée de cotisation et d’âge minimal de départ n’ont pas lieu d’être.

Un pas en avant, deux pas en arrière : le gouvernement renoncerait finalement, semble-t-il, à ces mesures paramétriques. Ou, plus exactement, à les inscrire dans la prochaine loi de financement de la Sécurité sociale pour 2020. En revanche, elles seraient reprises dans le projet de loi retraites que le ministre des Solidarités, Agnès Buzyn, présentera à la fin de l’année 2019.

De qui se moque-t-on ?

Réforme bien ordonnée commence par les régimes spéciaux !

Par ailleurs, la réforme Delevoye partait du postulat que le système était « presque » à l’équilibre et que la réforme n’avait donc pas pour but de réaliser des économies, mais d’établir une équité entre tous les retraités. On sait déjà que ce ne sera pas le cas.

  • D’une part, les dernières projections du Conseil d’orientation des retraites (COR), dans son rapport annuel, montrent qu’à l’inverse de ce qu’avaient affirmé Emmanuel Macron et Jean-Paul Delevoye, le système n’est pas équilibré financièrement.
  • D’autre part, la principale discrimination, celle qui désavantage les affiliés des régimes du privé (non seulement les retraités, mais encore plus les actifs) au bénéfice de ceux des régimes spéciaux du public, ne disparaîtra pas. Il n’en est même pas question dans les différents documents produits par le haut-commissaire. Les journalistes qui ont conclu des annonces de Jean-Paul Delevoye et d’Emmanuel Macron que les régimes spéciaux pourraient être supprimés, ou même seulement fermés, n’ont pas dû lire les textes produits par le haut-commissaire : il n’en est question nulle part. Les rares indices qui ont filtré laissent prévoir que continueront à exister au sein du système prétendument « universel » deux pôles, l’un public et l’autre privé, dont la différence de nature subsisterait (les pensions du privé étant financées par les cotisations des actifs et celles du public, payées par l’ensemble des contribuables, le montant des premières n’étant pas garanti contrairement à celui des secondes).

En ce cas, il conviendra d’être très attentif : la plupart du temps, les réformes, mises en place par de hauts-fonctionnaires qui bénéficient eux-mêmes des régimes spéciaux (c’est le cas de Jean-Paul Delevoye, qui fut, par ailleurs, ministre de la Fonction publique) pèsent essentiellement sur les affiliés du privé. En pareil cas, le passage aux points pourrait permettre de les gruger plus facilement, au lieu de représenter un progrès dans la gestion des caisses, facteur d’équilibre financier. Il ne s’agit pas ici de faire un procès d’intention au haut-commissaire, mais l’expérience nous a appris à être vigilants.

Il en va de même des mesures paramétriques envisagées par le gouvernement : jusqu’à présent, ce type de réformettes, inefficaces à termes mais douloureuses, ont été principalement supportées par le secteur privé.

En réalité, la meilleure manière d’instaurer une véritable équité entre les Français, affiliés à des régimes différents, consisterait à réformer d’abord les régimes spéciaux du public – qui représentent à eux seuls 29,3 % des dépenses de l’ensemble des régimes de retraite (1) –, avant d’aligner sur eux les régimes du privé. Il ne paraît malheureusement pas que tel soit le projet prévu par Jean-Paul Delevoye.

  • Y compris les régimes spéciaux des entreprises publiques et le RAFP (régime additionnel de la Fonction publique). Cf. le Projet de loi de finances 2019, rapport sur les pensions de retraite de la fonction publique.

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