Les socialistes contre la démocratie sociale

Les députés socialistes multiplient les contorsions pour justifier l’injustifiable : leur refus d’élections démocratiques à la Cnav.

Des syndicalistes issus du secteur public et affiliés à un régime spécial de retraite sont-ils les mieux placés pour défendre les intérêts des affiliés aux régimes du secteur privé, beaucoup moins avantageux ? De toute évidence, non ! Le conflit d’intérêts est flagrant.

C’est pourtant le cas de plusieurs représentants qui siègent aux conseils d’administration de la Cnav et de l’Agirc-Arrco – le cas le plus emblématique étant celui de Gérard Rivière, syndicaliste Force Ouvrière, qui a fait sa carrière à la Poste et n’en préside pas moins la Cnav (1). C’est pourquoi, depuis des années, Sauvegarde Retraites demande que les retraités du privé soient représentés, au sein des conseils d’administration des caisses des régimes dont ils dépendent, par des affiliés à ces mêmes régimes.

Et parce que les syndicats eux-mêmes sont le plus souvent contrôlés par des fonctionnaires ou assimilés (le taux de syndicalisation étant beaucoup plus élevé dans le secteur public que dans le privé), notre association exige aussi que soient restaurées des élections libres à ces mêmes conseils d’administration, conformément aux exigences de la démocratie sociale telles que les avait formulées, à l’origine, Pierre Laroque, le « père de la Sécurité sociale ». Ce dernier voulait en effet que les caisses soient « gérées par les intéressés eux-mêmes ou par leurs représentants élus qui pourront, mieux que quiconque, orienter l’emploi des fonds et le fonctionnement même des services dans le sens des désirs des travailleurs. » Cette demande est d’autant mieux fondées que l’affiliation desdits travailleurs à ces régimes est obligatoires et que les cotisations qui les financent sont directement prélevées sur les salaires.

Certains députés nous ont entendus et une proposition de loi, « tendant à renforcer le fonctionnement démocratique du système de retraites » a été déposée à l’Assemblée nationale, par les députés Laurent Wauquiez et Dino Cinieri. Cette proposition de loi prévoit notamment :

- que « nul ne peut siéger au conseil d’administration d’un régime de retraite s’il n’y est affilié »

- et que les représentants des affiliés ne seront plus désignés par les syndicats et les organisations professionnelles, mais élus.

Rappelons au passage que l’élection des administrateurs est de règle au sein des régimes des professions libérales (au vif déplaisir des fonctionnaires et des représentants de l’Etat.)

À ce jour, plus de cent députés ont cosigné cette proposition de loi, et le nombre des signataires ne cesse d’augmenter, ce qui paraît logique et naturel de la part d’élus de la République, eux-mêmes démocratiquement élus. On peut même s’étonner que cette proposition de bon sens n’ait pas encore été paraphée par la totalité des 577 députés… Qui pourrait s’opposer, en effet, au principe de la démocratie sociale ?

Des élus hostiles à l’élection !

Et pourtant, de manière encore plus étonnante, ce sont ceux qui n’ont que le mot « démocratie » à la bouche qui renâclent : les députés socialistes ! Sondés par les membres de Sauvegarde Retraites, ils répondent presque systématiquement par une lettre-type, visiblement préparée par les instances de leur parti. Il y est affirmé, sans vergogne, qu’« en vertu du respect du dialogue social, ce sont les organisations syndicales de salariés et d’employeurs, interprofessionnelles et représentatives au plan national, qui désignent librement les représentants » et que « Les syndicats s’emploient à mettre en place une représentation équilibrée ».

La belle blague ! Nos démocrates sourcilleux nous permettront de leur poser quelques questions :

- est-il légitime d’éliminer la démocratie sociale au bénéfice d’un pseudo « dialogue social » qui revient à privilégier la désignation de représentants sur leur élection ? Comment nos socialistes appelleraient-ils un régime qui imposerait ce beau principe pour la désignation (et non plus l’élection) des députés à l’Assemblée nationale ?

- Comment peut-on prétendre que les syndicats sont représentatifs des salariés du privé, alors qu’en 2005 le taux de syndicalisation ne dépassait pas 5 % dans le secteur privé (contre 15,2 % dans le public) et qu’il a probablement encore diminué depuis ?

- Comment affirmer sérieusement que les organisations syndicales et professionnelles travaillent à « mettre en place une représentation équilibrée », alors que certains administrateurs de la Cnav et de l’Aguirc-Arrco ne sont même pas affiliés à ces régimes ?

- Comment déclarer que ces mêmes syndicats « désignent librement les représentants », alors que, comme le constate la proposition de loi Wauquiez/Cinieri, « au profit d’un mode de désignation qui s’apparente à un partage territorial, les acteurs du paritarisme ayant pris l’habitude de s’attribuer, entre eux, la direction des différents organismes sociaux » ?

- Comment déclarer que ces mêmes syndicats « désignent librement les représentants », alors que, comme le constate la proposition de loi Wauquiez/Cinieri, les élections ont été supprimées en 1983 « au profit d’un mode de désignation qui s’apparente à un partage territorial, les acteurs du paritarisme ayant pris l’habitude de s’attribuer, entre eux, la direction des différents organismes sociaux » ?

En réalité, les députés socialistes sont prêts à sacrifier les principes démocratiques pour garantir à leurs amis syndicalistes, qui ne représentent plus qu’eux-mêmes, leur part du gâteau de la Sécurité sociale, gâteau dont le rapport Perruchot sur le financement des syndicats a montré, en novembre 2011, combien il pouvait être nourrissant.

Les députés socialistes devraient cependant se souvenir qu’en 2017, eux-mêmes ne seront pas désignés, mais élus… ou pas.

(1) Gérard Rivière préside également le GIP Union Retraite, qui regroupe 35 régimes du privé et du public, dont l’Agirc-Arrco, la MSA, le RSI et les caisses des professions libérales…


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