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L’usine à gaz de la pénibilité révèle les limites du « tout-répartition »

« Un système juste, c'est aussi tenir compte de la pénibilité de certains métiers », a déclaré Elisabeth Borne. Or, le traitement de la pénibilité à l’intérieur du système par répartition est facteur d’injustice.

La notion même de pénibilité du travail est ambigüe. Dans un rapport parlementaire sur la réforme des retraites publié en 2010, le sénateur Dominique Leclerc soulignait déjà qu’elle est « protéiforme, variable selon les individus et les environnements, et évolutive dans le temps » – d’autant plus qu’à l’intérieur même des métiers, les conditions de travail sont susceptibles de changements rapides. Sa prise en compte par le système de retraite par répartition aboutit à monter des usines à gaz ingérables et à ouvrir la boîte de Pandore de reports de charge non financés – dépense inchiffrable léguée in fine aux générations suivantes.

Comme souvent, les régimes spéciaux du secteur public sont les plus concernés par les mesures mises en place pour lutter contre la « pénibilité », qui leur permettent in fine de maintenir leurs avantages aux frais des contribuables. Il n’est donc pas surprenant que les métiers qualifiés de pénibles soient souvent ceux au sein desquels les syndicats du public sont puissants : cet argument sert surtout à compenser le report d’âge pour de nombreux fonctionnaires désireux d’intégrer la catégorie dite "active", qui permet aujourd’hui à quelque 800 000 fonctionnaires de bénéficier d’une retraite précoce (dès 52 ou 57 ans) sous prétexte qu’ils ont accompli un travail pénible ou particulièrement risqué – ce qui est loin d’être toujours le cas.

Lors de la tentative de réforme avortée qui a eu lieu pendant le premier quinquennat Macron, les syndicats avaient excipé, pour démontrer le bien-fondé de ces cessation d’activité précoces, du cas (extrême) des danseurs d’opéra, dont le départ à la retraite à 42 ans serait justifié par l’impossibilité, à partir de cet âge, de danser au plus haut niveau. Mais on pourrait en dire autant de tous les sportifs de haut niveau, qui ne bénéficient pourtant pas d’un régime spécial et n’arrêtent pas leur carrière professionnelle à 30 ou à 35 ans, mais opèrent une reconversion. En effet, ne plus pouvoir exercer un métier difficilement praticable passé un certain âge, ne signifie pas que l’on ne soit plus capable d’occuper aucun emploi et que l’on doive forcément devenir rentier aux frais des contribuables.

En Suède, souplesse et liberté de choix

À ce sujet, une autre question cruciale se pose : est-ce vraiment au système de retraite par répartition de régler la question de la pénibilité, alors que cela revient à transférer les responsabilités et les dépenses sur l’ensemble des affiliés ?… Ne vaudrait-il pas mieux que l’employeur prévoit des dispositifs complémentaires par capitalisation (financés par l’entreprise et le salarié) pour compenser une cessation d’activité précoce ? Plus souple, une réponse individualisée via des compléments de retraite par capitalisation permettrait en effet de répondre aux situations spécifiques.

C’est d’ailleurs ce que montrent les exemples à l’étranger. Tous les pays européens qui se sont penchés honnêtement sur la question – et où les gouvernements et les syndicats n’en ont pas fait, comme en France, un argument au service de leur clientélisme – ont refermé la boîte de Pandore de la pénibilité. Ainsi, les Suédois, lorsqu’ils ont réformé leur système de retraite, à la fin des années 1990, ont renoncé à intégrer la pénibilité dans la nouvelle architecture de leur système de base, comme ils y avaient d’abord songé. Ils ont notamment été confrontés à la multiplicité et à la diversité des situations. En associant le critère de l’espérance de vie à la prise en compte de la pénibilité, ils se sont aperçus, au terme de leurs calculs, que les hommes maçons devraient partir à 55 ans et les femmes institutrices à 77 ans ! Cette conclusion étant irréaliste, ils ont décidé, plutôt que d’externaliser le coût de la pénibilité et de le faire reposer sur la collectivité et l’assurance sociale, de privilégier un système à la carte, appuyé sur de la capitalisation, qui assure à leur système de retraite un maximum de souplesse et laisse aux affiliés une liberté de choix.

Si la France se dotait, elle aussi, des bons outils, la question de la pénibilité de certains emplois se règlerait d’elle-même. À l’inverse, l’obstination du gouvernement à maintenir et tenter de consolider l’usine à gaz actuelle révèle les failles du "tout répartition" et les limites de la réforme, que souligne encore l’annonce par Elisabeth Borne de la création d’un « fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle », doté d’un milliard d’euros sur la durée du quinquennat. Qui a parlé d’économies ?


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